Secours

Aide aux victimes du 13 novembre : témoignages des confrères en première ligne

Aide aux victimes du 13 novembre : témoignages des confrères en première ligne

Pour faire face aux attentats et à ses conséquences hors normes, l’AP-HP a mis en œuvre le « plan blanc ». Les biologistes et les pharmaciens hospitaliers étaient sur le pont avec toutes les équipes hospitalières ! Ils témoignent de leur détermination, mais également du choc subi depuis vendredi soir. La présidente du Conseil national de l’Ordre a souhaité rendre hommage à leur professionnalisme.

 

• Michel Vaubourdolle, pharmacien biologiste, chef de pôle de biologie médicale et pathologie, hôpitaux universitaires de l’Est parisien, Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP)

« Le vendredi 13 novembre à 22 h 30, l’AP-HP déclenche le “plan blanc”, prévu pour les situations sanitaires d’urgence, pour faire face à l’afflux important de victimes des attentats. Ce plan, mis en place en 2004, entraîne la mise en alerte des hôpitaux, des services d’urgence et du dispositif de santé publique. Le protocole implique de nombreux acteurs et a pour but de coordonner les services d’urgence, de renforcer les moyens de communication et aussi de réquisitionner des personnels médicaux et hospitaliers pour optimiser, notamment dans le cas présent, la gestion des lits et la disponibilité des blocs chirurgicaux. La biologie d’urgence est incluse dans ce dispositif, tout comme l’imagerie et la pharmacie hospitalière.

À titre d’exemple, l’hôpital Saint-Antoine situé à proximité immédiate du XIe arrondissement et qui comporte un service d’accueil des urgences (SAU) et un plateau technique complet, a reçu vendredi soir plus d’une trentaine de victimes des attentats. Dans le cadre du plan blanc, les personnels médicaux nécessaires pouvant se rendre sur place ont rejoint l’hôpital pour augmenter rapidement ses capacités : chirurgiens, réanimateurs, urgentistes, infirmières. L’équipe de biologie d’urgence déjà sur place (un biologiste de garde, un interne de garde et deux techniciens de laboratoire médical) a pris en charge l’afflux de demandes d’examens urgents sans faire appel à des personnels supplémentaires jusqu’au lendemain matin. En particulier, s’agissant de blessures par balles ou par de multiples plaies liées aux explosions, des bilans, comprenant gaz du sang, numération formule sanguine, hémostase, bilan hydro-électrolytique et rénal, sont demandés en urgence et réalisés immédiatement (10 à 50 minutes selon les examens). Une collaboration étroite avec l’Établissement français du sang (EFS), présent sur le site, a également été déterminante pour l’aspect transfusionnel (immunohématologie receveur, distribution de sang). La mise en place du "plan blanc" a permis d’alerter à domicile les personnels prenant le relais de l’équipe de garde le lendemain pour un éventuel renfort en cas de réplique, notamment par des personnels habitant à proximité de l’hôpital et pouvant s’y rendre à pied en cas de perturbation des transports.

Ainsi, l’ensemble des équipes médicales et paramédicales, incluant les pharmaciens hospitaliers et biologistes, a répondu présent lors de cette crise, dans tous les hôpitaux sollicités. Le président François Hollande s’est rendu le samedi 14 novembre à l’hôpital Saint-Antoine, accompagné par Manuel Valls (Premier ministre), Marisol Touraine (ministre de la Santé), Anne Hidalgo (maire de Paris) et Martin Hirsch (directeur général de l’AP-HP) pour “ exprimer sa gratitude” à l’ensemble des personnels de l’AP-HP pour leur réactivité et leur professionnalisme. »

  

• Patrick Tilleul, pharmacien hospitalier, chef de service Pharmacie à la Pitié-Salpêtrière 

L’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, a pris en charge, dans la nuit de vendredi à samedi, 51 des victimes des attentats terroristes, dont 24 urgences absolues. Patrick Tilleul était présent en tant que chef de service Pharmacie : « Sur le plan professionnel, tout a été fluide, mais nous ne sommes pas habitués à être confrontés à une telle violence. »

« J’ai reçu une alerte “plan blanc” à mon domicile vers 23 h, suivi d’un appel de notre direction. Nous avons été en fait deux pharmaciens mobilisés : le chef de service et le référent Gestion des risques et qualité. Le praticien pharmacien d’astreinte, exerçant son activité sur le secteur Dispositifs médicaux (DM), nous a aidés dans un premier temps à distance puis sur place pour la dispensation des DM requis par cette situation exceptionnelle. Tandis que ma collègue sur place à la pharmacie à usage intérieur (PUI) aidait notre interne à assurer la dispensation sécurisée des médicaments dans la nuit de vendredi à samedi, j’étais présent au niveau de la cellule de crise, animée par la direction, pour recueillir et affiner les besoins des services cliniques (formes, dosages, quantités). Lors de la dispensation directe en unités de soins, nous réanalysions en permanence les besoins via un contact direct avec les équipes médicales et soignantes au rythme des arrivées incessantes de blessés graves sur notre établissement. Les demandes concernaient pour l’essentiel les produits d’anesthésiologie et réanimation (curares, atropiniques, morphiniques) ainsi que les colles biologiques, sutures, pansements, compresses et médicaments dérivés du sang.

Pour le secteur Stérilisation, une pharmacienne assistante et un cadre sont restés toute la nuit, et samedi. Les demandes des services cliniques en produits de santé se sont un peu taries vers 4 h 30 du matin, heure à laquelle j’ai pu rentrer chez moi avant de revenir à l’hôpital à 9 h 30. Ma collègue est restée, elle, sur place jusqu’à l’aube. La plupart des membres de mon équipe (praticiens, assistants, internes, cadres, préparateurs) ont appelé pour se mettre à disposition de la PUI dès le milieu de la nuit. Le samedi matin, avec notre cadre de pôle, nous avons procédé à une réévaluation affinée des besoins et difficultés pour les trois secteurs de la PUI : médicament, DM, stérilisation. Cela s’est fait en connexion directe avec les services des urgences, de la réanimation et de chirurgie... Samedi, à 14 h, j’ai appelé mon collègue de l’Agence générale des produits de santé (AGEPS) pour anticiper les commandes urgentes à programmer le lundi, nos stocks très maîtrisés ayant été mis à forte contribution. Mais nous n’avons eu à déplorer durant le week-end aucune rupture de stocks.

En dehors de l’aspect professionnel, je retiens la tension et l’émotion dans la cellule de crise, où les familles appelaient... Et évidemment ces images de blessures de guerre, une violence à laquelle nous ne sommes pas habitués en tant que pharmaciens et acteurs de santé. »

 

• Philippe Arnaud, pharmacien hospitalier, pharmacien chef de service à l’hôpital Bichat 

Philippe Arnaud a dû notamment mobiliser et coordonner en urgence l’activité stérilisation de l’hôpital Bichat, mais aussi l’assurer pour le compte de l’hôpital Beaujon, dans la nuit de vendredi à samedi. En dépit de l’urgence et de l’émotion, les équipes ont été « fantastiques »  de professionnalisme, explique-t-il.

« J’ai été appelé chez moi par l’administrateur de garde à 1 h 30 samedi dans le cadre du "plan blanc". Je n’étais pas au courant des événements de la soirée. Dans l’urgence, la problématique numéro un était de relancer en pleine nuit l’unité de stérilisation avec mobilisation immédiate de Cyril Cambier, pharmacien en charge de l’unité, Alain Tessier, cadre de stérilisation, le personnel de la pharmacie, les infirmières de bloc opératoire... Tout le monde était sur site une heure plus tard et est resté sur le pont de 2 h à 19 h. Nous avions également à préparer les dispositifs stériles pour l’hôpital Beaujon, qui est habituellement fermé le samedi et a dû ouvrir exceptionnellement. Beaujon a assuré la réciprocité dimanche, où Bichat est habituellement fermé.

Toutes les équipes ont été fantastiques. Si la stérilisation était le point le plus critique, étant donné l’activité chirurgicale de la nuit, il a fallu évidemment gérer en parallèle le volet médicament, notamment les stocks de stupéfiants et les médicaments dérivés du sang, sérums antitétaniques... Sur le moment, nous étions vraiment dans une logique d’efficacité et de fonctionnement pour qu’il n’y ait aucun retard possible de prise en charge et de perte de chance pour le patient. Nous n’avions pas le temps d’être dans l’émotionnel...

Nous avons eu de nombreux appels de personnels volontaires pour rejoindre les équipes présentes. Nous n’y avons pas eu recours mais nous pouvions multiplier par deux ou trois notre potentiel humain en cas de besoin, uniquement sur la base du volontariat. Cela fait chaud au cœur ! »

 

• Patrice Prognon, pharmacien chef de service à l’hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP)

L’AP-HP a rappelé lundi l’efficacité des pharmaciens responsables de la stérilisation et des professionnels mobilisés en urgence samedi, alors même que les hôpitaux n’ont normalement pas d’activité orthopédique le week-end. L’hôpital Georges-Pompidou l’a vécu de façon particulièrement aiguë, nous explique Patrice Prognon.

« Je dormais quand l’administratrice de garde m’a appelé à 1 h du matin, je ne savais pas ce qui se passait... L’urgence pharmaceutique a été la stérilisation. D’autant que nous étions, à Pompidou, en campagne de travaux sur les autoclaves, et nous n’avions plus aucun stérilisateur depuis le 7 novembre. Comble de malchance, nous avions prévu de boucler totalement la stérilisation samedi dans le cadre des travaux. Il a donc fallu la rouvrir en urgence et réunir dans la nuit le personnel puisqu’il n’était pas prévu qu’ils travaillent samedi. Parallèlement, notre convention de partenariat avec la société Stérience pour la stérilisation pendant la durée des travaux a parfaitement fonctionné dans cette situation de crise. Il a fallu augmenter les allers-retours ininterrompus des camions entre notre partenaire et l’HEGP. Ils ont été à la hauteur !

Sur la partie médicaments et DM, le pharmacien d’astreinte a décidé de venir, alors qu’il pouvait gérer à distance. Notre pharmacien responsable des fluides médicaux, qui était en famille en province, nous a piloté en permanence par téléphone. Il faut souligner que les personnels n’ont pas été réquisitionnés, ils sont tous venus d’eux-mêmes. En pharmacie, samedi matin a été une garde normale. Cela a évolué dans l’après-midi pour accompagner les sorties de blocs opératoires. Au final, nous avons “fait le job”, comme n’importe quels autres collègues l’auraient fait.

Et lorsque j’ai pu voir en sortant samedi soir la queue de volontaires devant l’EFS, j’ai été d’autant plus réconforté. On sentait la mobilisation de la population pour nous aider. »

 

• Nathalie Pons-Kerjean, pharmacienne chef de service à l’hôpital Beaujon

À l’hôpital Beaujon, habituellement fermé le samedi, les points sensibles ont été la gestion de la stérilisation et des DM, après le volet médicament et un état des stocks en urgence, raconte Nathalie Pons-Kerjean.

« J’ai été appelée vers 23 h à double titre en tant que chef de service... et pharmacien d’astreinte cette nuit-là. Nous avons procédé en deux temps. D’abord évaluer nos stocks de produits sensibles avec l’interne de garde au vu des demandes des différents services, notamment sur l’adrénaline, la noradrénaline, les stupéfiants, l’oxygène, les facteurs de coagulation, les médicaments dérivés du sang... Nous avons décidé de ne pas utiliser notre réserve de médicaments “plan blanc” pour ne pas tirer sur le stock de la pharmacie centrale des hôpitaux de Paris. J’ai été amenée de mon côté à me déplacer sur le poste de contrôle de la cellule de crise afin d’évaluer ce qui nous attendait en nombre et types de patients..., ainsi que dans les blocs pour évaluer le second niveau d’intervention : la stérilisation et les DM une fois les blocs en action.

Nous avons coopéré dans le cadre du groupe hospitalier, Beaujon étant normalement fermé le samedi. Bichat a assuré la stérilisation pour nous en allongeant les tranches horaires des confrères. Nous avons pris le relais dimanche en doublant les équipes pour assurer la stérilisation de Bichat, habituellement fermé ce jour. Côté DM, nous avons été limite, par exemple sur les guides d’enclouage, avec plus de patients que prévu en orthopédie. Nous avons eu peur d’être en rupture mais le fabricant a répondu présent samedi.

Lundi, nous avons débriefé sur les plans à la fois émotionnel et professionnel, afin de nous servir de ce drame pour améliorer encore et toujours nos procédures, mais tout s’est globalement très bien passé. »

 

• Delphine Cohen, titulaire de la Pharmacie du Bataclan  

De samedi à mardi matin, Delphine Cohen, titulaire de la Pharmacie du Bataclan  à Paris, a été la seule de son équipe à pouvoir accéder à l’officine – bloquée par la police – qui jouxte pratiquement la salle de concert attaquée. Elle se dit « choquée »  mais déterminée et prête à soutenir les clients, pour la plupart habitants du quartier.

« Nous avons fermé à 20 h vendredi mais je suis partie vers 21 h 15. C’est mon père qui m’a appris par téléphone ce qui se passait alors que je venais de rentrer chez moi, à proximité, avenue Philippe-Auguste. Je me suis dit : à 10 minutes près, je les croisais... Puis j’ai pensé aux clients car nous sommes une pharmacie de quartier.

Durant le week-end, j’ai eu de nombreux messages de confrères et de clients. J’en ai appelés également. Il est évident que nous aurons beaucoup de soutien à apporter dans les jours qui viennent. J’ai parlé au téléphone avec les cinq membres de l’équipe de l’officine, et tout le monde est prêt psychologiquement à répondre à toutes les questions au comptoir et à échanger. Une préparatrice a tout de suite pensé aux personnes âgées du quartier, confrontées aux fermetures de commerce, et a imaginé comment les aider. Je m’attends à devoir jouer un rôle de soutien vu notre proximité avec la clientèle et avec les lieux du drame, d’autant que l’attaque de “Charlie Hebdo” en janvier était déjà proche géographiquement.

Au téléphone et à l’occasion de la minute de silence de lundi, j’ai constaté que les clients et les habitants étaient choqués et perdus. Ce mardi, je vais appeler tous les médecins du quartier pour voir comment ils appréhendent les choses de leur côté. Côté prescriptions et approvisionnement, nous verrons les besoins au jour le jour, mais je crois que les gens auront surtout besoin de parler. Y compris de la suite, car la peur s’est installée. »

C'est utile pour vous Vu par Deligne

zoom Dessin de presse

Lu dans votre journal
Dossier

Dossier Pharmaceutique: patients et pharmaciens ont dit oui

Le journal n°52

Feuilleter le journal

Le DP en chiffres
  • Officines raccordées : 22 293
  • DP créés : 40 401 507
  • DP en PUI : 206

Au 09/11/2015